Écouter est un art qui s’apprend

Texte de René Lehmann, sociologue – Publication dans le hors série N° 2 APF SEP 2002.

René Lehmann, sociologue, a derrière lui une longue expérience de kinésithérapeute. Pour avoir côtoyé les personnes handicapées toute sa vie, en particulier des personnes atteintes de sclérose en plaques, pour les avoir accompagnées dans leur souffrance, elles et leurs proches, il a développé un grand sens de l’écoute et nous fait part de sa réflexion, en tant que professionnel, mais aussi en tant qu’homme, au sens le plus humaniste du terme (1).

Il met régulièrement en pratique son art de l’écoute et la Permanence Sep de Strasbourg.

L’écoute des malades est très importante et je me réjouis que, partout en France, dans les délégations APF et ailleurs, des lieux d’écoute se mettent en place. Ces lieux propices à l’écoute sont fort variés : réunions conviviales, groupe de parole ou encore tout lieu favorisant le tête à tête.

Il y a autant d’écoutes que d’écoutants. Il y a l’écoute d’un professionnel, l’écoute offerte par un autre malade, très proche, et l’écoute proposée par des bénévoles qui ne sont ni professionnels ni malades. Il serait utile que le sujet qui désire parler puisse choisir entre ces différents modes et lieux d’écoute, suivant son tempérament,
ses croyances, sa culture et l’évolution de sa maladie. Il peut aussi en changer.
L’écoute très proche est une écoute par empathie. Elle se définit comme « la compréhension par un sujet du comportement de l’autre, fondée sur sa propre expérience ». L’écoutant se met à la place de l’autre. C’est un malade qui accompagne un autre malade et qui lui renvoie des affects identiques. Entre eux, le courant passe, le
sujet parlant se sent compris.

Entre eux se met en place un véritable échange d’expériences et de ressentis. Ce type d’échange peutcomporter certains risques, si l’écoutant n’a pas reçu de formation préalable et vient avec le poids de son propre vécu.

L’écoute est une autodiscipline exigeante.

Tout d’abord l’écoutant, quel qu’il soit, doit être informé sur la maladie. Quand une personne dit : « Venez vers 10 heures du matin parce que, à partir de midi, je ne peux plus parler », l’écoutant doit être au courant des problèmes très variables de la fatigabilité d’une personne à l’autre, par exemple.

L’écoutant doit aussi observer une certaine réserve, de manière à ne pas projeter ses propres sentiments.

Régulièrement, il devra se soumettre à une supervision par un psychologue ou un psychiatre, afin de pouvoir se libérer, à son tour, de ses propres affects.

L’écoute est une autodiscipline exigeante. Voici quelques conseils utiles, dispensés par J. Pillot (2), psychologue :

« Ne pas rassurer trop vite, ne pas conseiller et donner des solutions trop vite, ne pas consoler trop vite, ne pas argumenter et persuader logiquement trop vite, ne pas informer trop vite ». En d’autres termes, laisser le temps agir et trouver la juste distance. On peut aussi se référer à Maurice Bellet (3) : « Laisser le dire se dire, comme il se dit ; être présent entièrement, non pas seulement de tête, en même temps laisser tout l’espace si on parle (…), s’abstenir de tout jugement, de tout ce qui définirait l’autre (…) renoncer à tout pouvoir ». Cette acceptation d’impuissance est difficile, surtout pour des professionnels qui ont été formés et entretenus dans l’idée qu’il faut faire ou dire quelque chose pour être efficace.

« Ce que tu es parle plus fort que ce que tu dis »

Le silence du malade est souvent redouté, il signifie que l’on est sans grand moyen, que l’on risque de perdre son temps ou tout simplement que l’on ne sait que répondre. Or la communication non verbale est prégnante, beaucoup plus qu’on ne le pense. « Ce que tu es parle plus fort que ce que tu dis », ai-je lu un jour dans une éphéméride, et c’est tellement vrai. Utilisons notre corps pour exprimer notre désir d’être là, par notre regard attentif, par notre attitude générale d’ouverture, par la tenue droite de notre dos. C’est le paraître de Lacan. Guy Ausloos (4), pédopsychiatre à Montréal, propose un renversement de perspective. Au lieu d’en rester au bilan de ce qui ne va pas, il « s’attend » à découvrir la potentialité des personnes et des familles en difficultés.

A partir de l’idée d’interdépendance, il propose de changer son propre regard et sa propre approche afin de donner toutes les chances à l’autre d’évoluer. « La seule personne qui peut changer… c’est vous ! »

Or, « l’autre est un autre moi », affirme le Dr. Stemper (5). Travailler sur moi, c’est donner des chances à l’autre.

J’en suis arrivé à conclure que le meilleur travail que je puisse faire pour « l’autre », c’est de travailler sur moi même, de cultiver la disponibilité et de susciter au fond de moi une confiance, un être là » d’optimisme raisonné.

Rester au seuil des questions irrésolues, rester même au seuil de soi-même pour ne pas envahir l’autre par sa propre histoire, permet de tenir bon et d’accepter l’idée que l’autre est toujours une aventure », selon la belle formule d’une Camerounaise lors d’un congrès sur l’immigration.

Une supervision régulière est nécessaire, pour évacuer ses propres émotions.

Une formation de base est nécessaire. Elle permet d’utiliser un langage commun, d’offrir une base commune de référence et enfin d’élaguer ses propres motivations. La supervision est nécessaire dans le temps. Ce qui signifie au fond qu’avant d’écouter, il faut avoir été entendu. La personne qui parle pourra ainsi mettre au jour les nondits,
les mal-dits, les angoisses, dont nous savons les effets destructeurs entre époux, entre enfants et parents.

Elle pourra parler des symptômes invisibles pour l’entourage, sources d’incompréhension et d’isolement : la fatigue, les troubles vésicaux, les problèmes sexuels, les atteintes de la sensibilité, de la mémoire. Elle pourra ainsi mener à bien le travail sur soi qu’elle a entrepris, ce travail qui va lui permettre de continuer à vivre. Car il s’agit bien de vivre !

  • (1) Extraits de « Mais quelle écoute », intervention à la réunion APF-SEP, Mission Sep, Paris, 1er décembre 1998, et « La vie au quotidien », intervention au colloque « Sclérose en plaques » de Chambéry, 1er décembre 2000.
  • (2) L’écoute dans l’accompagnement de la souffrance. J. Pillot, psychologue au CHU -*de Grenoble, bulletin de la Fédération JALMALV, 36 rue belledonne 38320 Eybens
  • (3) L’écoute, Maurice Bellet, Desclée De Brouwer EPI, 1989
  • (4) La compétence des familles. Temps, chaos et processus, Dr Guy Auloos,