Sabine de Labbey est neuropsychologue au centre de rééducation fonctionnelle François Gallouédec Le Mans et Parigné l’Évêque. Nous la remercions pour son accord à publier cet article sur notre site.

Les troubles cognitifs dans la Sclérose en plaques

Les perturbations mentales éventuellement présentes dans la Sclérose en plaques (SEP) peuvent être à l’origine de changements dans la suite de la vie telle qu’elle était organisée avant la mise en place du processus neurodégénératif. Ces perturbations sont mesurées en neuropsychologie par une batterie de tests qui étudie les fonctions mentales supérieures et leur évolution.

Ces analyses permettent de distinguer les fonctions cognitives déficitaires des fonctions préservées, de mettre en évidence la nature et l’intensité de l’altération intellectuelle, donc de répondre à la plainte du patient. Des solutions ou adaptations peuvent alors lui être proposées, et une surveillance de l’évolution des troubles peut être mise en place.

D’un point de vue psychologique, l’annonce du diagnostic de SEP est vécue par le patient comme un choc car c’est la perte d’un corps en bonne santé dont le deuil ne peut s’effectuer que par détachement de la vie antérieure afin de pouvoir acquérir une nouvelle identité en adéquation avec la réalité. L’évolution incertaine de la maladie chronique impose un nouveau renoncement dès l’apparition d’un nouvel événement démyélinisant, ce qui est déstabilisant pour le patient, entrainant perte d’estime de soi et dévalorisation.

Un symptôme caractéristique de la SEP est la fatigue, qui est chronique, fréquente (85% des patients) et qui représente un réel handicap pour le patient. Elle est améliorée par le repos, mais ne peut être expliquée par un état dépressif, même si la dépression à une incidence supérieure dans la SEP par rapport à d’autres affections neurologiques. Par ailleurs, il n’apparait pas de corrélation entre la dépression chez un patient et la baisse d’efficience cognitive.

D’un point de vue cognitif, les difficultés habituellement retenues chez une personne atteinte de SEP touchent les fonctions attentionnelles, la mémoire de travail, la vitesse de traitement de l’information, la récupération en mémoire épisodique et les fonctions exécutives.

L’attention est le temps pendant lequel une personne peut se concentrer sur une tâche donnée. C’est l’attention sélective qui peut faire défaut dans la SEP c’est-à-dire la capacité à éliminer des informations non-pertinentes en fonction du contexte.

Le maintien temporaire d’informations pendant la réalisation mentale d’une activité s’effectue grâce à la mémoire de travail. Elle est habituellement mesurée par les empans envers (la plus grande série de chiffres restitués à l’envers immédiatement après leur présentation). Elle serait fréquemment déficitaire dès les stades précoces de la maladie, même si le déficit sélectif de cet empan envers est exceptionnellement rapporté dans la littérature.

Un déficit consensuel dans la SEP concerne la vitesse de traitement de l’information mesurée par le « gold standard cognitif » qu’est la PASAT (Paced Auditory Serial Addition Test). Ce test consiste à additionner les 2 derniers chiffres d’une série de chiffres au fur et à mesure de leur présentation orale. Cela permet donc d’évaluer à la fois les capacités d’attention et de vitesse de traitement. Il est cependant difficile de ne pas tenir compte des capacités de calcul mental et de mémoire de travail dans cette même épreuve.

La mémoire épisodique est la mémoire des événements personnellement vécus dans un contexte spatial et temporel précis. Elle nous permet de voyager dans le passé (« Je me souviens qu’à Noël dernier, je suis allé chez mes parents en Normandie, et que nous avons mangé une excellente dinde aux marrons ») et dans le futur (« samedi prochain, j’ai l’intention d’aller au cinéma du Colisée avec mes amis »). Si l’on prend le soin d’éliminer une cause dépressive ou anxieuse, les difficultés se situent dans la restitution des informations correctement encodées et stockées.

Enfin, les fonctions exécutives sont utilisées pour faire face à la nouveauté ou lors de situations complexes qui ne peuvent pas faire appel à des réponses automatiques (prise de décision, plan d’action, sélectionner, contrôler, empêcher…).

Les capacités d’inhibition (s’empêcher de faire quelque chose qui n’est pas adapté) peuvent être mesurées dans la troisième partie du test du « Stroop » durant lequel le patient doit empêcher la réponse dominante (lire le mot écrit) au profit d’une réponse moins automatique (donner la couleur du mot écrit). C’est spécifiquement l’augmentation statistiquement significatif du nombre d’erreurs ou de temps dans cette condition qui peut identifier un trouble de l’inhibition. Or, des performances chronométriques pathologiques sont quelquefois rapportées pour toutes les parties de ce test, ce qui ne semble pas être spécifique du trouble en question.

Sur le plan de la perception des émotions et de la cognition sociale (capacité à attribuer des pensées ou des sentiments à autrui), des changements semblent mis en évidence dans la SEP, ce qui pourrait expliquer les difficultés relationnelles et l’isolement social parfois rapportés dans cette pathologie. Toutefois, encore peu de résultats permettent de tirer des conclusions évidentes, mais l’étude de la cognition sous cet angle pourrait permettre de donner un éclairage nouveau sur l’interaction entre les soignants et les patients.

En conclusion, une grande diversité d’atteinte cognitive est reconnue dans cette pathologie. Elle dépendrait avant tout de l’importante de la destruction diffuse des réseaux et de l’atrophie cérébrale au niveau de la substance grise profonde ou du cortex. Sans compter que des phénomènes de compensation cérébrale s’effectuent naturellement, avec un recours à des aires cérébrales supplémentaires pour réaliser les tâches cognitives.

Alors même que le bilan neuropsychologique s’inscrit dans une démarche clinique spécifique, rigoureuse qui doit répondre à une demande précise, un travail sur la qualité de vie des patients semble prioritaire. Il dépend aussi de l’importance que l’on porte sur les conséquences écologiques des troubles décrits.

Sabine de Labbey
Neuropsychologue