Entretien avec Nina Benoit, Psychologue, fédération de Neurologie Hôpital de la Salpêtrière, Paris.

Dossier N°7 Mars 2001 du magazine APF SEP

L’existence de perturbations cognitives au cours de la sclérose en plaques est connue depuis les descriptions de Charcot, mais leur prise en compte a longtemps été négligée, le handicap fonctionnel, passant au premier plan. Les études systématiques étaient rares et leurs résultats très hétérogènes.

Depuis le début des années 1980, l’abord de ces difficultés a changé. Toutefois l’approche de ces perturbations reste complexe en raison de la nature de la maladie : les formes évolutives de la maladie, la durée d’évolution, l’âge des patients, les degrés de handicap fonctionnel sont autant de facteurs dont il faut tenir compte dans l’évaluation et la comparaison des performances cognitives des patients. Il est cependant possible de dégager un profil correspondant aux altérations cognitives les plus fréquemment rencontrées et aux plaintes venant des patients eux-mêmes : difficultés de mémorisation, difficultés d’attention et de concentration, difficultés de traitement simultané de plusieurs informations, ralentissement. Dans l’analyse de ces perturbations, il faut également tenir compte de la fatigue particulièrement fréquente.

L’apparition et/ou l’évolution de perturbations cognitives au cours de la maladie est imparfaitement connue. Elles ne semblent pas s’aggraver avec la durée de la maladie, ni avec l’augmentation du handicap fonctionnel. On remarquera que lorsqu’une personne atteinte d’une SEP doit envisager d’interrompre son activité professionnelle, l’existence de troubles cognitifs en est rarement la cause. Par ailleurs, de nombreux patients porteurs d’une SEP, même invalidante, ne présentent pas de tels troubles.

Caractéristiques des troubles cognitifs dans la SEP :

– Le langage est préservé : alors que souvent les patients se plaignent de chercher les mots, lorsqu’on les fait dénommer des séries d’images, la dénomination est normale. En revanche, on peut trouver une limitation dans la recherche de mots correspondant à des critères définis (noms d’animaux, de fruits, mots commençant par une lettre donnée…). On rencontre également des troubles de la parole (dysarthries).

– Les capacités de perception visuo-spatiales peuvent être affectées mais il faut tenir compte de la fréquence des troubles visuels.

– Les troubles de la mémoire correspondent à la plainte la plus souvent rapportée. Ils doivent être envisagés en dehors de facteurs dépressifs et/ou anxieux, eux-mêmes générateurs de perturbations mnésiques. Les tests de mémoire doivent tenter de situer le niveau des difficultés. Le plus souvent, on constate que lorsqu’on demande au patient de mémoriser des informations et qu’on s’assure que ces informations et qu’on s’assure que ces informations ont bien été enregistrées, leur restitution est incomplète. Mais si on fournit un indice de récupération, l’information est correctement rappelée, témoignant d’un stockage effectif.

– Les troubles de l’attention sont intriqués avec la plainte mnésique. Au cours d’un examen neuropsychologique, on perçoit fréquemment des fluctuations des niveaux de performance qui peuvent être extrêmement gênants dans la poursuite d’une activité intellectuelle. S’y ajoutent des difficultés à gérer “deux choses à la fois”, entraînant un ralentissement ou des erreurs dans la réalisation de la tâche. C’est le cas, par exemple, lorsqu’on demande au patient de suivre une double consigne, comme la progression en parallèle d’une série de chiffres et d’une série de lettres. Dans la vie courante, c’est ce qui se produit lorsque deux informations entrent en concurrence.

Prise en charge des troubles cognitifs :

Alors que la prise en charge kinésithérapique des troubles moteurs est fréquente, il n’en va pas de même pour les troubles cognitifs. Jusqu’à ces dernières années, on avait coutume de n’envisager la rééducation cognitive que dans le cadre de pathologies non évolutives (accidents vasculaires, traumatismes crâniens…). L’émergence de la maladie d’Alzheimer comme problème de santé publique a commencé à transformer les pratiques. Concernant la SEP, la sortie de médicaments susceptibles d’influer sur le cours de la maladie modifie les perspectives. Le souci d’un accompagnement pluridisciplinaire se fait jour. Il est mis en œuvre dans certains centres de rééducation spécialisés, avec la présence d’orthophonistes, de psychologues formés en neuropsychologie, d’ergothérapeutes.

En ville, seules les orthophonistes, peuvent intervenir (sur prescription médicale reconnue par la Sécurité Sociale). Ils sont habilités à prendre en charge les troubles de la parole afin d’obtenir un meilleur contrôle du débit et une amélioration des déformations articulatoires. Mais de plus en plus, ils acquièrent une compétence spécifique pour aborder les dysfonctionnements cognitifs. Ils sont les interlocuteurs privilégiés des patients au domicile.

Il n’existe pas -ou pas encore – de programmes ou de techniques de rééducation cognitive propres à la SEP mais les procédures utilisées dans d’autres pathologies neurologiques sont tout à fait utilisables. On peut ainsi se référer aux programmes proposés pour les traumatisés crâniens.

Il est préférable qu’un examen neuropsychologique soit réalisé préalablement à la demande du neurologue traitant. Ce bilan a pour but d’objectiver les plaintes mnésiques et/ou attentionnelles et guidera l’orthophoniste dans la conduite de la prise en charge. Cet examen est pratiqué par un psychologue spécialisé en neuropsychologie, soit dans un centre hospitalier disposant d’un neuropsychologue, soit en ville. Il faut savoir que, dans ce dernier cas, le remboursement par la Sécurité sociale n’est pas possible (le montant des honoraires varie mais n’est sans doute jamais inférieur à 500 francs). Les séances de rééducation n’apportent pas forcément des résultats spectaculaires mais, pour des personnes en situation d’invalidité, elles permettent de mobiliser les capacités attentionnelles (ce qui peut compenser en partie les problèmes de mémoire), de retrouver des motivations et des habitudes intellectuelles structurantes.

Pour les patients en situation d’activité professionnelle mais se plaignant de “pertes de mémoire”, le bilan peut aider à mettre en évidence le rôle de l’attention plus que de la mémoire dans les difficultés rencontrées.

En conclusion, si les troubles cognitifs au cours de la sclérose en plaques ne sont pas une fatalité, ils restent relativement fréquents avec des degrés d’intensité divers. Leur étude est encore très incomplète et leur prise en charge ne fait que commencer.

MISSION APF SEP