Lieux de rencontre autour de la SEP ” Près de chez vous “

Groupe de parole dans la région du Nord de la France : Christian Taffin, psychologue (avril 2005) Comment en groupe la vie et la SEP sont abordés, dans quel cadre etc…

Les « gens du Nord » … de la France sont nombreux à être atteints de la sclérose en plaques.

Les associations (APF, NAFSEP…) sont très actives et notamment dans le Pas de Calais; elles coopèrent fortement avec le monde médical (CHU, hôpitaux…). Ces trois dernières années, plusieurs conférences ont réuni un grand nombre de participants concernés par la SEP. L’objectif était de rassembler, de faire connaître la SEP, de répondre aux nombreuses interrogations, de rompre ou éviter le repli et l’isolement.

Ces conférences ont permis aussi d’informer les participants de l’existence ou de projets de création de « lieux de rencontre » autour de la SEP.

Deux psychologues animent différents groupes de parole dans le département. Je participe à trois groupes (Boulogne, Lens, Liévin).

Chaque groupe est constitué d’un noyau fixe de sept à huit personnes et de quelques autres qui passent ; les réunions sont mensuelles, les dates sont fixées à la fin de chaque réunion et peuvent faire l’objet d’une annonce gratuite dans le journal “La Voix du Nord”. Friandises et boissons sont souvent offerts par l’institution qui accueille, cela contribue un peu plus au climat convivial.

Les participants n’ont pas tous la SEP mais sont tous concernés par elle ; des conjoints accompagnent leurs épouses malades, même si parfois, elles conduisent leurs voitures, des parents plus ou moins proches accompagnent ou viennent seuls pour « savoir ». Les participants, malades, en majorité des femmes, ont souvent franchi la cinquantaine, se déplacent difficilement et sont reconnus à plus de 50% d’invalidité. Ce sont les personnes plus jeunes en âge et dans la maladie qui viennent une parfois deux fois, voir ; elles ont eu connaissance de ces groupes par la presse. En règle générale, les participants ont une vie professionnelle, ont élevé des enfants, ont cessé progressivement leur travail ; on retrouve peu de célibataires et tous habitent un domicile privé.

Les participants ont une connaissance de la SEP, à travers les symptômes qu’ils ressentent ; les aspects anatomiques, génétiques, environnementaux et autres sont souvent mal appréhendés et sont l’objet de questionnement au gré de l’actualité.

Le fonctionnement

La présence aux réunions est facultative mais souhaitée par le plus grand nombre ; il y a une heure prévue pour le début, les départs peuvent être échelonnés -c’est plutôt rare- en fonction des impératifs (météo, rendez-vous, état de santé…).

Le contenu n’est pas déterminé à l’avance, il est fonction de l’actualité, des lectures, des rencontres, des rendez-vous médicaux, des interrogations émises lors des réunions précédentes, des « nouveaux » venus, des initiatives de vie personnelles (traitement, séjours…)

Ecouter l’autre, éviter de l’interrompre dans son discours, limiter les conversations annexes, ne pas livrer de jugement. Le temps de parole de chacun doit correspondre à un temps d’écoute « supportable » par les autres, il doit être limité dans la durée pour en laisser suffisamment au groupe.

Telles sont les modalités implicites, parfois rappelées, du fonctionnement des groupes sans qu’elles soient vécues par les participants comme une contrainte, une restriction.

Les personnes sont contentes de se retrouver, à la fois sérieuses et attentives dans leur écoute ; elles s’adaptent à la gravité des propos, aux mal-être passagers, aux rires, aux comportements obsessionnels de l’un ou l’autre, aux entêtements du moment, à l’extrême détresse parfois ; elles contiennent remarquablement l’émotion manifeste ou des nouveaux venus ou des habitués qui traversent une période difficile (poussées, révélations…) L’empathie se manifeste souvent et au-delà des larmes non retenues, elle appelle les sourires… encore un peu mouillés.

Voilà pourquoi ces groupes existent… pour constater que « je ne suis pas le maudit, le fautif, seul dans ma situation de souffrant », pour entendre s’énoncer la vie quotidienne des autres… finalement pas si différente de la mienne, pour oublier le mot FIN et espérer encore de l’avenir.

De quoi, de qui on parle ?

Si nouveau venu il y a, le groupe se présente ; la SEP est « naturellement » évoquée mais toujours discrète dans un premier temps (chacun semblant vouloir dire « nous partageons une même chose »), la personne « nouvelle » peut alors choisir de se présenter, de parler d’elle, de la SEP, de sa vie de personne atteinte de SEP. Chacun des mots « lâchés » timidement, pudiquement, fait écho dans le groupe, est reconnu et resitué émotionnellement dans le parcours de vie du participant, l’empathie fonctionne, le retour des mots dits est « constituant », parfois « reconstituant », la « personne-SEP » n’est plus niée dans sa souffrance physique et aussi psychique, elle existe de par le groupe. L’histoire de vie rapportée retient toujours l’annonce de la maladie nommée ou non, l’isolement qui s’en suit, les symptômes invisibles et sournois qui génèrent, en face, le doute et l’incompréhension, et enfin les mots assassins entendus à l’occasion d’une démarche « ébrieuse » par exemple. Le doute s’installe chez la personne atteinte de SEP : « Suis-je vraiment malade ou c’est ma tête qui va mal ?».Certains symptômes visibles de la maladie déclenchent des réactions et comportements désobligeants de la part de l’entourage et meurtrissent profondément la personne malade ; elle se sent incomprise, niée dans sa difficulté à vivre.

Et au groupe de partager cette histoire qui fut, qui est la sienne, et aux accompagnants d’entendre les mêmes constats, les mêmes reproches, les mêmes colères, les mêmes découragements.

La conversation devient plus concrète, plus objective : c’est quoi la SEP ? Comment ça arrive ? Qu’est ce que ça peut faire encore… ? Pourquoi ça m’arrive… ? Qu’est ce que je peux faire, dois faire sur le plan professionnel (je ne peux plus assumer mon travail comme avant) ?
Sur le plan familial (Que dois-je dire ? Je me sens anéantie par la fatigue) ?

Les participants informent, conseillent, accompagnent.

Quant aux proches du malade, ils veulent comprendre ce qui arrive, les comportements de ceux qu’ils aiment et voient souffrir ; comment ne pas subir et apporter les bonnes réponses ?

Parmi les thèmes évoqués :

– Les commentaires de l’actualité (accessibilité, aides financières…), les situations de handicap récemment vécues : leur colère monte, se dégonfle… parfois on peut en rire en écoutant les réactions des uns et des autres.

– Les rendez-vous chez « son neurologue » qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on parle des petits mieux qu’on ressent, des poussées que chacun gère à sa façon pour en souffrir le moins ; la poussée paraît familière, on l’attend, la personne sait comment lui faire face ; la conversation est alors étrangement sereine dans l’après-coup, elle rassure.

– Les anecdotes positives, celles qui font du bien : les effets positifs du magnétisme auquel la personne ne croit pas mais qu’elle est obligée de reconnaître chez elle, cela lui a permis d’aller applaudir les footballeurs de Lens, de faire régulièrement des ballades plus longues sans plus de fatigue. Mais au fait, c’est quoi le magnétisme, quel rapport y a t-il avec le fonctionnement du corps humain, avec la SEP ?, chacun y va de ses connaissances actuelles ou s’informera pour la prochaine réunion.

– La relaxation, la sophrologie…, les médecines parallèles expérimentées au détour des rencontres, elles apportent des moments de bien être sinon de bonheur ; chacun écoute curieusement l’autre, le questionne, s’informe, reste dubitatif ou semble « preneur ».

– La personne qui vient de rejoindre le groupe, atteinte de SEP depuis de très nombreuses années, qui raconte qu’elle va beaucoup mieux (elle en montre des preuves indiscutables)… et d’expliquer son parcours, son histoire récente, ses voyages religieux sans effets après coup, ses souvenirs d’enfance qui, après, s’imposent dans sa réflexion actuelle et la conduisent à l’église pour participer à des messes traditionnelles « comme quand elle était petite » ; cela lui procure du bonheur, elle va mieux physiquement, elle est volubile, elle fait passer son ressenti. Les autres l’écoutent, la regardent, l’interrogent, doutent et pourtant… ils cherchent à comprendre, la conversation s’anime et sera reprise lors des réunions suivantes.

– L’incontinence, la sexualité sont abordées différemment et dépendent des « personnalités » présentes (grande affinité, sensibilité professionnelle à ces thèmes, souffrance exprimée : inquiétude, peur, dévalorisation, abandon, désespoir, questionnements). Dans tel groupe, la spontanéité des participants permet de dire les difficultés, de se les approprier, de les partager, de s’en expliquer. Les situations sont à la fois multiples, communes et personnelles, des réponses sont apportées, entendues dans l’intimité du groupe fortement impliqué et gardien des confidences.

Le groupe peut se montrer « insupportable » par ce qu’il montre à voir et à entendre et à revivre un passé traumatisant combattu et définitivement délaissé ; j’ai le souvenir récent d’une résidante du foyer où se réunissait le groupe et qui était présente pour la première fois ; la SEP lui laissait peu d’autonomie, elle a quitté le groupe après avoir écouté une demi-heure. Lorsque je l’ai vue le lendemain, elle m’a dit : « tu sais Christian, quant je les écoutais hier, je revoyais et revivais toutes les étapes pénibles, dramatiques que j’ai dû affronter et que j’ai dépassées, alors je suis partie avant que ça me fasse trop mal… je vis tant bien que mal, plutôt mal avec ma maladie (dans une sérénité apparente) et c’est bien ainsi ». Elle nous a quittés en octobre dernier.

Conclusion

Il faut développer ces groupes de paroles pour toucher le plus grand nombre et rompre l’isolement. Les communautés d’agglomérations marquent de plus en plus d’intérêt envers les personnes en situation de handicap ; elles participent, les unes très activement, les autres insuffisamment, à l’aspect matériel (les distances, les déplacements restent des obstacles à la participation notamment à la campagne). Les centres hospitaliers initient des groupes de parole : les associations trouvent là la récompense de leurs efforts.

La SEP n’est ni une fatalité, ni une « punition », elle est un accident de la vie qui la rend difficile, pénible, douloureuse. Le bien être psychique favorise-t-il l’efficacité des traitements ? J’ose le penser ; les groupes de parole contribuant fortement et efficacement au maintien de la paix intérieure pourvu que la parole circule et soit reçue ; ils rendent la SEP « vivable » puisqu’elle est partagée.

Christian TAFFIN, psychologue (APF) (avril 2005)

 

Près de cez vous www.apf-francehandicap.org.